31 mai 1940 Haubourdin

Carnet du Capitaine Kriner, commandant le 1er BM, page 224 à 228.

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Le 31 mai, dès 4 heures du matin, à 4 ou 500 mètres du point d'appui, on voyait passer puis disparaître quelques soldats français prisonniers, escortés.

Puis brusquement, les rafales d'armes automatiques éclatent. Les tireurs sont vraisemblablement dissimulés derrière le cimetière et nos mitrailleuses ne peuvent les atteindre. Vite on va chercher un tromblon et deux obus V.B. Une fusée blanche lancée fort à propos par l'ennemi situe exactement son emplacement et les deux obus portent sans doute puisque les armes automatiques se taisent.

L'artillerie allemande elle-même ne tire plus, vraisemblablement pour ne pas atteindre ses éléments avancés qu'elle sait au contact.

D'ailleurs, le « mouchard » est là, maintenant. Il survole Haubourdin, Loos, Lomme, Lambersart et lance des tracts ronéotypés sur lesquels on lit :

« Soldats Français !

« Vous êtes encerclés de tous côtés. Chaque résistance n'a plus d'espoir. Votre Général le sait bien !

« Il a quand même décliné la capitulation que nous lui avions offerte pour éviter la mort de milliers de français, parmi eux des femmes et des enfants.

« Vous vous êtes battus héroïquement !

« Une résistance coûterait des hécatombes de morts et ne serait plus au profit de la France.

« Nous vous offrons une capitulation honorable...

« ... ou nous vous garantissons la mort.

« Les avions, l'artillerie et tous les autres moyens de combat sont prêts.

«Décidez vous immédiatement

« Nous attendons vos parlementaires avant 6 h 30 ce matin.

« Ne comptez plus sur les anglais, ils sont en fuite vers l'Angleterre »

Comme les auteurs du libellé connaissaient mal ces débris de la 1ère Armée enfermés dans Haubourdin et à qui leur général avait donné l'ordre de résister jusqu'à l'extrême limite !

Ils devaient tenir, ils lui obéiraient et, d'avance, ils accepteraient la mort plutôt que d'enfreindre ses ordres !

Et de plus belle, la défense s'organisa pour soutenir une troisième journée de siège.

Bientôt, l'artillerie allemande recommença à tirer. Mais cette fois, la nôtre ne répondait pas, les munitions épuisées.

Les mitrailleuses prennent à nouveau l'adversaire sous leur feu. Maintenant, il est à 400 mètres à peine. Les mousquetons entrent en action. De sa main, un officier abat 40 à 50 Allemands.

Vers 10 heures, deux chenillettes apparaissent dans le chemin creux. Deux hommes chargés en descendent. L'un est touché par le tir de nos armes automatiques et s'affaisse. L'autre, avec un courage que nos mitrailleurs eux-mêmes admirent, arrive sous notre feu qui reste intense, à gagner, avec sa charge, une maison toute proche, derrière laquelle il disparaît. Il portait quelque chose de lourd qui paraissait bien être une plaque de base de mortier.

Tout rentre dans le calme. L'artillerie allemande a cessé son tir.

Soudain, à quelque distance de là dans la plaine un drapeau blanc s'agite, deux hommes se lèvent avec un brancard et rentrent dans une maison, puis ressortent bientôt. Nos mitrailleurs ont cessé le feu, mais vigilants, ils observent, le doigt sur la détente.

Et voilà que, soudain, une véritable grêle d'obus s'abat tout autour du point d'appui avec une précision inquiétante.

Les munitions s'épuisent et il faut prélever une corvée pour aller en chercher. Elle est à peine revenue qu'une formidable explosion ébranle cette fois tout le bâtiment. On a l'impression que les murs ont chancelé et voilà que des flammes s'élèvent de toutes parts. La fumée envahit l'escalier. Les Allemands lancent des obus incendiaires sur l'orphelinat qui n'est bientôt plus qu'un brasier.

Un mitrailleur est resté au second étage. On essaye de parvenir jusqu'à lui, mais c'est inutile, les flammes lèchent maintenant tous les murs. Les cartouches et les grenades éclatent de toutes parts. Les obus se précipitent à une cadence rapide et paraissent passer par le même trou.

Le spectacle est d'une horreur indescriptible, accrue encore par la certitude que là-haut, un homme est en train de griller.

Et pourtant, il faut évacuer l'immeuble qui, d'une minute à l'autre va s'écrouler. Il est décidé rapidement que la petite garnison ira continuer la lutte dans les maisons à quelques deux cents mètres en arrière. L'orphelinat St Augustin n'est plus maintenant qu'un immense et inaccessible foyer d'où l'on ne retirera même pas les cendres de celui qui y mourut dans d'atroces souffrances, à son poste de combat.

Les survivants du point d'appui s'organisent suivant les ordres donnés. Mais cette fois, la lassitude et le chagrin paralysent l'énergie de ces hommes, qui pendant trois jours, se sont battus sans répit et sans trêve.

Il est 16 heures et le bruit circule que sur la demande de la population civile d'Haubourdin qui a été fort éprouvée (200 tués) des pourparlers de reddition de la place ont été engagés.

Vers 20 h 30, lugubre, infiniment triste, retentit la sonnerie de « Cessez le feu ». La lutte est donc finie !

Mais l'adversaire a reconnu la valeur des défenseurs d'Haubourdin. Aux héros survivants qui, jusqu'à l'extrême limite ont combattu sous les ordres de la 5e D.I.N.A., les allemands accordent les honneurs de la guerre.

Bientôt arrive en effet l'ordre suivant du Général Molinié commandant le groupement des divisions de Lille :

 

  • I. Au reçu du présent ordre, les hostilités cessent entre les troupes françaises assurant la défense d'Haubourdin et de Loos d'une part, et l'ennemi d'autre part. Les troupes seront immédiatement regroupées dans les cantonnements à l'arrière de la ligne de feu.
  • II. Eu égard à la défense héroïque de nos forces, les honneurs militaires leur seront rendus dans les conditions suivantes:

Une colonne sera formée qui se présentera à 9 heures à la sortie S.O. de Lille par la route d'Haubourdin-Loos. Les troupes allemandes leur rendront les honneurs. En tête marcheront les Commandants de Division et trois compagnies en armes, mais sans munitions, de 100 hommes. Deux compagnies seront formées par la 2e D.I.N.A., une par la 5e D.I.N.A. Le reste des hommes, encadré, sera sans armes. Tous seront pourvus, autant que possible, d'un manteau, d'une couverture, d'un casque, d'un matériel de campement, musette et bidon. Les armes du personnel armé seront déposées, après le défilé, à la gare de Lille.

  • III. Aucune destruction nouvelle d'armes, de munitions, de matériel, d'équipements, de stocks divers, de ponts ou construction ne sera plus exécutée. Les armes individuelles seront rassemblées en un même point dans chaque division et gardées jusqu'à ce que le commandement allemand en ait pris livraison. Cette livraison aura lieu à partir de 7 heures. A cet effet, les officiers enverront pour l'heure indiquée: 1 officier, 1 sous-officier et des guides au pont sud d'Haubourdin. Les chevaux resteront au cantonnement; les cuisines roulantes suivront la colonne.
  • IV. Les postes de secours resteront sous la direction des médecins qui disposeront des camionnettes nécessaires pour le transport éventuel des blessés;

Signé : Général Molinié

Commandant le groupe de défense de Lille.

 

         Est-il besoin de décrire l'émotion qui étreignait les survivants de cette épopée de trois jours, à la lecture de ces lignes. Tous gardaient un silence lourd d'angoisse. Beaucoup essuyaient leurs larmes. C'était donc fini. La force brutale avait eu raison de l'héroïsme !

Carnet du Capitaine Kriner, commandant le 1er BM, page 224 à 228.