Carnet du Capitaine Kriner, commandant le 1er BM, page 217 à 224.
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Le 30 mai 1940, vers 2 heures du matin, on entendit tout à coup des cris, suivis de rafales d'armes automatiques et d'éclatement de grenades.
Une patrouille d'une vingtaine d'Allemands venant d'Emmerin, en bicyclette, et engagée sur la route d'Haubourdin était tombée sur une embuscade tendue par des fantassins du 4e R.I. Le gros de la patrouille avait fait demi-tour, des Allemands s'étaient terrés dans le fossé de chaque côté de la route. Il y avait chez eux, sûrement des morts et des blessés, un seul français avait été atteint, d'ailleurs légèrement.
Tout à coup, du fossé, un allemand cria : -« Vive la France ! Ne nous tuez pas ! »
Le médecin du Bataillon de Mitrailleur qu'on était allé quérir, pensant avoir à faire à des blessés ennemis, envoya vers le fossé des infirmiers et un brancard. Une rafale de mitraillette les accueillit. Un infirmier tomba. Il avait reçu dans le corps sept balles dont aucune, heureusement, ne lui fit une blessure mortelle.
Les autres, courageusement, continuèrent leur mission et réussirent à ramener deux allemands blessés. L'un était mourant, l'autre moins gravement touché dit les pertes qui, la veille, avait été infligées par le tir de nos mitrailleuses. Il évaluait le nombre des tués à l'effectif de deux compagnies environ.
Elles avaient tiré sans relâche, nos mitrailleuses. Le sol des pièces dans lesquelles elles se trouvaient était couvert de douilles vides.
A différentes reprises, il avait fallu enlever les canons rougis et les plonger dans l'eau froide.
Au petit jour, six allemands, restés cachés dans les fossés, se levèrent et se rendirent.
Sur le terrain, étaient restés trois allemands tués, dont l'adjudant chef de la patrouille, une mitrailleuse, des fusils, des mitraillettes, des grenades et des bicyclettes.
Les prisonniers confirmèrent le chiffre des pertes que nous leur avions infligées.
Dès que le jour permit de distinguer ce qui se passait, le poste d'observation enregistra le renforcement de la position ennemie.
A un moment donné, dans un chemin creux, à 2.500 mètres environ en avant du point d'appui passèrent en direction de Lille des voitures hippomobiles et automobiles. Les mitrailleuses ouvrirent le feu, mais le convoi poursuivit sa route.
A 8 heures, l'infanterie allemande, nombreuse cette fois, se lançait vers le point d'appui. Comme la veille, les mitrailleuses entraient en action. Comme la veille, les fantassins s'égaillaient en deux groupes. Les assaillants tombèrent nombreux. Bientôt, le mouvement amorcé s'arrêta.
L'artillerie continuait à pilonner Haubourdin. Maintenant, elle s'en prenait à l'orphelinat. Les coups venaient à la fois du Nord et du Nord-Est. Manifestement, l'observatoire gênait considérablement les mouvements de l'adversaire. Le bâtiment ne fût pas atteint mais, des environs, les blessés arrivaient nombreux au poste de secours du Bataillon.
Par bonds isolés, les fantassins allemands tentèrent de reprendre leur progression. Les mitrailleurs, dont le tir était dirigé par des officiers, les fauchèrent impitoyablement et la matinée se passa sans que l'ennemi pût enregistrer un résultat.
Vers 11 heures, le Capitaine Commandant le Bataillon partit en reconnaissance avec deux officiers du 4e R.I. dans la direction du cimetière d'Haubourdin pour rechercher avec le 22e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (rajout à la main ou 24e) la liaison qui n'est plus établie.
A peine les officiers avaient-ils atteint un boqueteau d'où ils pouvaient observer les mouvements de l'ennemi qu'un obus pulvérisait littéralement les deux compagnons du capitaine. Lui, projeté à terre, se releva avec l'épaule brisée par un éclat d'obus. Il ne put être évacué sur Lille que vers 14 heures et passa alors le commandement du point d'appui au Capitaine adjoint.
A midi, un infirmier qui s'était improvisé cuisinier avait fait cuire des œufs et des « patates » et, à tour de rôle, les mitrailleurs prirent un très frugal repas. Quelques bouteilles trouvées la veille dans la ville furent les bienvenues.
Mais les Allemands ne désarmaient pas. Maintenant, entre eux et le point d'appui, ils lançaient des obus fumigènes et, sous leur pression, les fantassins du 4e R.I. qui couvraient le point d'appui étaient bientôt contraints de se replier.
Les positions avantageuses pour nos mitrailleurs qui, par-dessus les nuages artificiels, pouvaient continuer à poursuivre de leur feu l'ennemi dans ses évolutions et rendre tout mouvement à l'abri des nuages impossible.
Cette fois, les Allemands avançaient précédés de civils, les mitrailleurs ne se laissaient pas impressionner. Sans hésiter, ils tirèrent. Un civil tomba, la jambe broyée, mais l'officier allemand qu'il couvrait de sa personne s'écroula tué. On devait apprendre par la suite que beaucoup de civils français trouvés par les Allemands dans les maisons qu'ils prenaient d'assaut, avaient été fusillés séance tenante et sans jugement.
Maintenant les balles sifflaient dans l'orphelinat, dans les couloirs. La cuisinière est traversée par un projectile. Les mitrailleuses continuent à cracher sans arrêt.
Chacun fait assaut de cran et d'énergie. Un sous-officier se fait particulièrement remarquer par son attitude admirable. Il encourage chacun par son calme, son sang-froid, sa bonne humeur. Dans la cour, placidement, au milieu des éclatements d'obus et malgré les sifflements des balles, un mitrailleur découpe des quartiers d'une vache qui a été tuée dans la matinée. Il ne veut pas que les copains aux pièces, à l'observatoire aient faim.
Maintenant, les balles crépitent avec rage contre les murs. Nos mitrailleuses répondent ; les armes automatiques ennemies n'auront pas le dernier mot et les fantassins qui essayent de progresser continuent à être impitoyablement fauchés.
Mais cette fois, les obus de l'artillerie allemande tombent avec plus de précision ; un coup atteint même de plein fouet le bâtiment. Il éclate au 2e étage dans la pièce où se trouve une mitrailleuse. Il y a un tué, plusieurs blessés ; l'arme automatique est hors d'usage.
Vers 16 heures, un deuxième obus arrive entre le 1er et le 2e étage.
Plusieurs mitrailleurs sont blessés. Un officier qui dirigeait le tir d'une mitrailleuse est atteint d'un éclat au genou, mais il ne prétend pas se laisser évacuer. Un adjudant est tué à sa pièce.
Le tir des mitrailleuses reste aussi violent malgré les obus qui, maintenant, tombent un peu partout dans l'orphelinat à une cadence telle que pour évacuer les blessés amenés dans la cave on décide de procéder à une évacuation, dès qu'elle sera possible.
Sans répit, l'infanterie allemande renouvelle ses tentatives de progression ; sans répit aussi, nos mitrailleuses répondent. L'une d'elles, dans le nuage de poussière qui, maintenant a envahi les pièces, est enrayée ; l'autre n'en tire qu'avec plus d'acharnement.
A 19 heures, le tir allemand décroît et cesse et, à 20 heures, une camionnette vient chercher les blessés de la journée. Avec l'autorisation des allemands, elle franchira les lignes et dans la nuit, gagnera l'hôpital de Lille.
Il y a aussi des morts, beaucoup de morts, hélas !
Le poste d'observation est toujours debout. Il fonctionne toute la nuit et les mitrailleurs de garde ne sont pas sans remarquer que les Allemands profitent de l'obscurité pour renforcer leur ligne et s'établir plus près du point d'appui.
Les munitions sont encore abondantes. La position reste avantageuse. Malgré les pertes, le moral est excellent et tout le monde tient. Dans la soirée, on apprend que le Colonel Commandant les troupes à Haubourdin a été sollicité par les Allemands pour rendre la place. Il a refusé. La nouvelle de sa décision rend à tous courage et confiance.
On décide de transférer ailleurs le poste de secours pour éviter aux blessés d'être massacrés par l'ennemi, s'il se lançait à l'assaut de la position. On l'installa dans une maison en bordure de la rue, à une cinquantaine de mètres à l'arrière de l'orphelinat.