La marche du 1er B.M.

La marche du 1er B.M.

 Carnet du capitaine Kriner, commandant le 1er B.M., page 80 à 84:

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       On s'adressa à (un musicien de la Garde républicaine qui avait pris sa retraite sur les bords de la Seine) et la demande n'était pas sitôt faite que le distingué musicien entreprenait d'écrire la marche militaire du 1er Bataillon de Mitrailleurs. Il l'intitula : « Honneur aux Beffrois ».

         Dès janvier 1940, elle était sur les pupitres de la fanfare et bientôt elle retentissait à la grande joie de tous.

         Rien ne pouvait davantage toucher les mitrailleurs et exalter leur âme qu'une évocation, écrite par un Flamand, des beffrois du Nord.

         Tous appartenaient aux régions qui s'enorgueillissaient de ces beffrois : Dunkerque, Bergues, Calais, Bailleul, Armentières, Lille, Comines, Douai, Boulogne, Arras, Béthune, Hesdin !

         C'est pour eux qu'ils étaient là, sous l'uniforme, mitrailleurs farouches et résolus, le doigt sur la détente, prêts à défendre leur petite patrie, par amour de celle qui les contient toutes, la France.

         Les beffrois de leur ville ! Leurs carillons, tous ces enfants de la Flandre voulaient pouvoir les entendre encore, librement, égrener leurs notes harmonieuses, lancer aux échos leurs airs populaires de leurs invisibles clochettes. C'est pour respirer l'atmosphère d'une paix, cette fois définitivement recouvrée, qu'eux, les pacifiques, ils étaient venus se battre.

         Honneur aux beffrois ! Pour défendre et garder cet honneur, pour le transmettre intact à leurs enfants, les mitrailleuses des gars du Nord feraient, le jour venu, une infranchissable barrière de feu.

         Et la marche du bataillon formait un faisceau des ritournelles qui leur étaient familières.

         C'était d'abord, « Meunier, tu dors ».

         Meunier tu dors ! En l'absence du refrain officiel que contenait le recueil, en vain recherché, des refrains ancien bataillons de mitrailleurs d'active, il avait été décidé de faire précéder au Bataillon toutes les sonneries de clairon de cette populaire question.

         Certes, ils ne s'endormaient pas les mitrailleurs du 1er Bataillon, mais si, d'aventure, en raison même de cette drôle de guerre qu'ils devaient subir, ils étaient envahis par une déprimante et coupable torpeur, si, lorsque sonnerait l'heure des difficiles combats, des sacrifices suprêmes, la volonté de vaincre faiblissait, ils entendraient sonner, comme un dur reproche, à leurs oreilles, le refrain naïf et doux, adopté pour leur rappeler leurs sévères obligations de meuniers, préparés à des moulins dont les ailes devraient tourner « avec ténacité... lorsque la tempête et le vent des attaques feraient rage... »

         A toute heure du jour, du réveil jusqu'à l'extinction des feux, lorsque le clairon de garde lançait ses appels, c'était la même interrogation : «Meunier, tu dors ? ». Le soir, dans le silence de la campagne, les dernières sonneries se faisaient écho et chacun, à part soi, répondait : « Non ! le 1er Bataillon veille ! les mitrailleurs ont sur les ailes de leurs moulins une main ferme qui saurait se crisper avec une volonté inébranlable su la Flandre qu'ils avaient mission de défendre était attaquée ».

         Après le refrain du Bataillon et à sa place d'honneur : le P'tit quinquin ! Evocation de jeunesse, si tendre, si touchante et dont les paroles, en patois flamand, étaient si facilement fredonnées par tous.

         Puis venait l'air du « Biau Général, va faire dodo !

         La musique attaquait alors la marche du « Reuze », le géant de Cassel, et c'était le souvenir des carnavals joyeux et burlesques, des grandes kermesses, de la sortie et de la promenade des géants.

         Tous les mitrailleurs flamands exultaient, c'était leur chant à eux que l'artiste leur livrait, qu'il développait en quelques heureuses phrases avant de revenir à Lille pour chanter, comme aux soirs inoubliables de la Braderie : « Vivent les Saints Sauveurs, ma mère ! ».

         Mais Reuze se daevait, dans ce pot pourri des Flandres, d'avoir le dernier mot. Son refrain revenait pour clore la marche. Et les mitrailleurs scandaient davantage le pas, raidissaient le mollet en défilant à ces joyeux accents !

         Si « Honneur aux Beffrois » était joué au cours d'un concert, timidement d'abord, puis avec une ardeur de plus en plus grande, bras dessus, bras dessous, en quelque coin de la place, nos flamands mimaient la marche dansante derrière et autour du Géant, comme aux jours où ils l'accompagnaient dans sa sortie, à travers les rues pittoresques de Cassel.

         Les mitrailleurs témoignèrent de leur reconnaissance à l'artiste qui avait composé « leur marche » en l'adoptant au Bataillon. Il avait bien mérité d'eux. C'était la plus grande marque d'affection qu'ils pouvaient donner à celui qui, fier comme eux, d'appartenir à la province des Flandres, avait rassemblé les airs du terroir, les avait commentés, agrémentés d'entrainantes sonneries de clairon, avec toute son âme et son grand talent.

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